Mutations forcées, camps de formation militarisés, déplacements de populations… En tout, plus de 500 000 travailleurs ruraux auraient été convertis de force à des emplois salariés pour atteindre les objectifs politiques fixés par le président chinois… Ce sont les conclusions d’une étude américaine publiée au nom de la Jamestown Foundation par le chercheur allemand Adrian Zenz, spécialiste de la Chine, qui fut parmi les premiers à mettre en évidence les abus perpétrés par le gouvernement chinois envers les minorités au Xinjiang.
RFI : Pourquoi faites-vous le rapprochement entre le sort des Ouïghours au Xinjiang et celui des travailleurs pauvres du Tibet ?
Adrian Zenz : Le gouvernement chinois importe au Tibet des pratiques déjà éprouvées au Xinjiang. En l’occurrence, il s’agit d’un programme coercitif de formation et de relocalisation professionnelle, extrêmement centralisé et militarisé. Il consiste à placer les fermiers et les nomades tibétains, qui vivent sous le seuil de pauvreté, dans des camps de formation incluant des exercices militaires, afin d’organiser ensuite leur mutation professionnelle. Depuis le début de l’année 2020, les postes qui leur sont attribués se situent très souvent hors de la région du Tibet.
La politique des autorités chinoises implique aussi de pousser ces travailleurs pauvres à renoncer à leurs terres et à leur bétail, qui sont cédés à des coopératives étatiques, dont ils deviennent actionnaires, avant d’être employés comme salariés dans des usines chinoises.
Quelles sont les similitudes avec les programmes de « rééducation » mis en place au Xinjiang ?
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Il y a des schémas très proches au Xinjiang, notamment les rafles de travailleurs ruraux internés dans des bâtiments de formation militarisés, ainsi que les dispositifs de placement forcés mis en place à la sortie de ces camps d’internement. Dans les deux cas, l’accent est mis sur la remise en cause du mode de vie traditionnel d’une minorité « réticente au changement » et l’ambition d’effacer leur identité considérée comme « arriérée » par les autorités chinoises.
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Quel serait l’objectif de ces pratiques dans le cas particulier du Tibet ?
L’objectif politique à court terme, c’est d’épouser la promesse la plus emblématique du président chinois, Xi Jinping : l’éradication de la pauvreté. Il se trouve que la pauvreté se mesure en fonction des revenus déclarés, mais que les revenus des fermiers et des nomades tibétains sont très difficiles à identifier. Ils sont très souvent autosuffisants et peuvent vivre du troc ou du petit commerce des produits de leur terre, ce qui rend les mesures compliquées. Les autorités chinoises ne supportent pas cette incertitude, et le fait de forcer ces populations à prendre des emplois salariés permet de prétendre que les Tibétains ont été sortis de la pauvreté.
Le deuxième objectif, c’est évidemment le contrôle social. Les fermiers et les nomades tibétains sont notoirement difficiles à contrôler, ils vivent de manière indépendante, suivent leur propre calendrier et les coutumes locales, ce qui représente depuis longtemps un affront, aux yeux de Pékin. Ces nouveaux dispositifs vont donner très rapidement à l’État chinois une capacité de contrôle considérable sur ces populations