« L’art comme acte de résistance » Le Tibet s’invite à Pau. Article par Caroline Pain (Caroline, bientôt 19ans, Pau. Études d'Histoire. Aime ouvrir grands les yeux et les oreilles, la spontanéité, capturer en photos, la danse et le chocolat. Remercie Le Monde pour lui donner sa chance parmi 68 autres jeunes). Blog: http://carolinepain.blog.lemonde.fr/
Du 25 Septembre au 7 Octobre s’est tenu à Pau la semaine du Tibet. Cet événement organisé par l’Association Paloise Pour l’Art et la Culture Tibétaine (APACT) a eu lieu à la fois au cinéma d’art et d’essai de la ville Le Méliès et à la MJC du Laü. Denise Campet, la présidente de l’association explique comment la semaine a été organisée. Chaque année, au début du mois d’Octobre l’association met en place plusieurs évènements dans la ville de Pau, à l’occasion de la fête annuelle de l’APACT pour rappeler l’envahissement du Tibet en octobre 1950.
"Devant l'idée d'un tel casting nous avons bien sûr accepté!"
Cette année, ils ont choisi de projeter le film « Drapchi » d’Arvind Iyer, film présenté aux festivals de Stuttgart, de Delhi et qui sera présenté en octobre à celui de Varsovie puis celui du Caire . Cela a été suivi d’un débat avec Namgyal Lhamo, l’actrice principale du film et chanteuse tibétaine mondialement connue, Gyaltsen Drölkar ex-prisonnière de Drapchi, Guen Tenzin Penpa moine tibétain, et Marie Holzman sinologue, écrivain et professeur d'université à Paris. Le film n’était diffusé qu’une seule fois à l’occasion de cette soirée exceptionnelle, il ne restait pas un seul siège de libre dans la salle. Après le film, nombreux ont été les spectateurs qui ont voulu poser des questions aux différents intervenants, le moine Guen Tenzin Penpa qui jouait le rôle de traducteur et malgré son français imprécis, a pu retransmettre les paroles de Gyaltsen Drölkar, notamment.
Denise Campet explique en fait que le parcours pour amener le film au Méliès a été long, mais fructueux au final. Ce film lui avait semblé intéressant d’une part parce qu'il a été fait par un réalisateur Indien de Bollywood, ce qui suscite donc un intérêt, et d’autre part parce que l’actrice principale, surnommée « Le rossignol du Tibet », jouait dans un film indien. Finalement, c’est le film en lui même qui lui a plu : sa façon de suggérer les choses sans vraiment les montrer, de faire ressentir la peur au spectateur grâce, paradoxalement, à des belles images. Par ailleurs, elle savait, connaissant le public du Méliès, qu’il aurait un impact et qu’il ferait réfléchir les gens qui viendraient. Elle raconte ensuite une anecdote loin d’être anodine : Iceberg Nine films, société de production basée à Bombay qui cherche à développer le cinéma d’art indépendant, a pris en charge en totalité la venue de l’actrice, expliquant qu’ils avaient été sensibilisé à ce que faisait l’association et que c’était leur manière d’ajouter une pierre à l’édifice.
Parallèlement, Marie Holzman a contacté Mme. Campet pour lui parler du livre « L’insoumise de Lhassa ». Allier le film et le livre n’était donc pas l’idée de départ, mais devant l’idée « d’un tel casting », dit Denise Campet, « nous avons bien sûr accepté ! ». Par ces deux œuvres, l’équipe qui a réalisé le film, et l’écrivaine tibétaine, ont cherché à sensibiliser le public par autre chose que du voyeurisme : l’idée était plutôt de suggérer.
Durant le reste de la semaine ne sont tenues plusieurs expositions d’art tibétain à la MJC de Laü, ainsi que la projection d’un autre film « Tibet in songs », et la performance de plusieurs chanteurs tibétains, suivies de conférences et de repas traditionnels.
Nommer cette semaine « L’art comme acte de résistance » fait écho à la volonté des tibétains d’exprimer leur souffrance et la sinisation par le biais de films, de peintures, de chants et de poésie.
En 1985, ils étaient cinq à la création de l’APACT, ils sont aujourd’hui plus de 500.
En ce qui concerne l’histoire de l’association, Denise Campet l’a créée après plusieurs voyages avec des amis au Ladakh (région de l’extrême Nord indien de l'État indien du Jammu-et-Cachemire surnommée “le Petit Tibet”). La bas, lors de leurs voyages ils ont été vraiment touchés par l’hospitalité tibétaine, «par leur sourires et l’amour qu’ils nous donnaient sans rien attendre en échange. » raconte t’elle, « Et vous savez, les Tibétains vous invitent toujours à prendre un thé, même s’ils n’ont qu’un seul verre et qu’ils doivent le laver après que chacun ait bu.» C’est donc dans le but de leur rendre ce qu’ils leur avaient donné qu’elle a eu l’idée de créer une association. Elle a alors rencontré un maître spirituel tibétain qui lui a dit que ceux qui avaient vraiment besoin d’aide étaient les réfugiés tibétains des camps de Mainpat en Inde. En 1985, ils étaient cinq à la création de l’APACT, ils sont aujourd’hui plus de 500. L’idée de faire une fête annuelle est donc venue naturellement, d’abord dans le but de récolter de l’argent pour pouvoir agir au Tibet, notamment en parrainant des réfugiés ; cette année la fête a rapporté 4000Euros et 1400 Euros de dons. Le second but de l’association, qui a une importance tout aussi grande, est d’informer sur l’art et la culture tibétains. Denise Campet raconte que malgré l’affluence aux évènements organisés, elle est souvent attristée de se rendre compte que beaucoup de gens ne connaissent rien de la situation actuelle. C’est pour cela qu’elle continue à faire de telles manifestations, pour faire prendre conscience aux gens de cette situation.
A la recherche d'une issue.
Vient alors dans la conversation LA question : Les gens qui font des dons à l’association sont-ils toujours aussi motivés qu’au début ? Continuent-ils à y croire ? Elle admet alors que même s’il y a un renouveau régulier, certains se lassent, ne voient pas d’issue.
« Et vous, vous en voyez une ? » Question suivie d’un court silence, puis « Si la Chine se démocratise, un assouplissement serait alors possible » Elle explique alors qu’il existe en Chine des intellectuels et des démocrates qui comprennent bien que le Tibet ne veut pas l’indépendance, mais l’autonomie : pouvoir pratiquer librement leur religion, parler leur langue, récupérer leur terres, respecter l’environnement etc.
Leur culture est leur arme.
Mais la situation est toujours la même pour le moment. Le Tibet est même considéré comme une colonie : des Chinois sont envoyés la bas pour y vivre, alors qu’on empêche les Tibétains d’être nomades comme ils l’étaient traditionnellement, on les enferme dans des campements, et se passe alors ce qui s’est passé pour d’autres civilisations tels que les Amérindiens : l’alcoolisme, la violence se développent. C’est en tuant la culture tibétaine que le Gouvernement chinois a une emprise sur ce peuple, parce que leur culture est leur arme. Finalement Denise Campet insiste sur la transmission de la culture au sein même du peuple tibétain, elle explique que cette culture est principalement orale et donc quelque part amenée à s’éteindre si personne ne l’écrit. C’est ce qu’elle a conseillé à des jeunes étudiants parrainés par l’association « Je les ai encouragés à poser des questions aux anciens, de les enregistrer ou d’écrire les traditions, les contes et les légendes qui leur ont été transmis, sinon tout va se perdre ! »
Ce qui nous amène donc à parler du parrainage : depuis la naissance de l’association a été mis en place ce système qui fait que grâce aux dons, des enfants, des étudiants et des vieillards peuvent être parrainés, et donc aidés au quotidien. Cette ancienne professeure de mathématiques connaît l’importance de l’éducation et elle explique que les jeunes Tibétains meurent d’envie de faire des études, pour pouvoir défendre leurs droits et continuer à se battre.
« - Comment trouvez-vous l’énergie de continuer ?
- En rencontrant des Tibétains exilés, en voyant et en sentant leur force intérieure, et en s’intéressant à leur culture. Je n’aurai pas la prétention de dire que nous allons faire changer la Chine ! Mais je suis persuadée que tant qu’on parlera du Tibet, aux politiques, aux jeunes, à tout le monde, tant qu’on en parlera, le Tibet ne sera pas perdu. »
Et à la question « comment pensez-vous que les Tibétains, eux, gardent espoir ? » Denise Campet raconte alors que c’est d’abord leur force intérieure qui vient de leur foi qui les pousse à continuer. En effet, les religions comme le Bouddhisme prônent une philosophie de paix, de confiance, de respect des autres et surtout de persévérance. Elle ajoute ensuite que les jeunes générations sont beaucoup plus unies que les anciennes ce qui permet une cohésion plus importante.
« Bien sûr, explique t’elle, certains Tibétains en exil mette cette cause de côté pour gagner de l’argent, faire leur vie. On observe depuis une dizaine d’année une divergence de valeurs : certains préfèrent vivre privés de leur culture et avec de l’argent, et d’autres vivent pour leur culture et leur combat. Cette divergence vient souvent du fait que certains ont vécu l’oppression et d’autres ne font que l’imaginer. »
Elle évoque alors la Flamme de la Vérité. Cette flamme doit faire un parcours à travers le monde et a été lancée par Parlement tibétain en exil le 6 juillet 2012, date anniversaire du Dalaï lama. Elle est allée aux Etats-Unis, en Australie, et va traverser plus de 22 pays Européens. Au fil du parcours de la Flamme une pétition sera proposée dans le but de la remettre à l’ONU le 10 Décembre, journée des droits de l’Homme. A Pau plus de 200 personnes ont signé cette pétition.
Il est évident que nombreux sont les articles qui ont été publiés sur ce sujet. Mais il est important, comme le disait Denise Campet lors de l’interview, d’abord de transmettre ce message autrement qu’en relatant le nombre d’immolations de moines (bien que ce soit important) mais plutôt en montrant comment les Tibétains luttent pacifiquement par leur culture, et ensuite, il est important de continuer à en parler, « car tant qu’on parlera du Tibet, il ne sera pas perdu. »